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La pratique spécifique de l’émonde sur le territoire Rance-Côte d’Emeraude

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La technique de l'émonde est une spécificité du territoire, notamment dans sa partie sud. L'émonde est un arbre bocager dont la croissance a été bridée par un élagage et un étêtage régulier. Cette technique ancienne permet aux exploitants agricoles de concilier l'activité agricole de la parcelle à celle de production de bois de chauffage.Mais les bonnes pratiques n'ont pas toujours été transmises entre générations et ici et là, l'émonde retrouve une forme « libre ». De plus, cette technique n'est pas toujours bien comprise par les nouveaux habitants.

Un arbre façonné par un entretien traditionnel

Le caractère emblématique de l’émonde tient à son façonnage par un entretien spécifique. Traditionnellement,  ce dernier est inscrit dans le cadre contractuel du bail, en plus de l’application des us et coutumes ayant force de loi. Le propriétaire peut aller jusqu’à désigner individuellement dans le bail tel ou tel arbre, et le fermier se voyait contraint à un entretien très normé. Le locataire est autorisé à exploiter le bois d’émonde, mais le tronc de l’arbre demeure propriété du loueur. L’émondage est pratiqué tous les 9 ans, en principe de janvier à mars, en lune « cressante ». L’arbre est étêté et élagué sur la totalité de son fût. L’émondeur, muni d’un « hachot », commence par se frayer un chemin jusqu’à la cime de l’arbre, puis redescend progressivement en coupant les couronnes successives.

Parmi les différents arbres du bocage, l’émonde est celui qui remplit de façon privilégiée la fonction de production de bois de chauffage. L’entretien qui lui est attaché permet de répondre aux besoins des sociétés rurales. Le développement de branches latérales et la rotation d’intervention permettent à la fois de sortir de la « billette » aux extrémités de gros diamètre, et des fagots qui trouvent de nombreux débouchés, en particulier pour la cuisson du pain.

Si d’autres essences, comme le châtaignier ou le frêne, peuvent également s’y prêter, l’arbre de l’émonde par excellence est le chêne pédonculé. La technique exploite la capacité de l’arbre à développer, une fois la cime coupée, des bourgeons latéraux disséminés sur le tronc. En temps normal, ces bourgeons dormants sont inhibés par la dominance apicale. Pratiqué dans les règles de l’art, l’émondage permettrait de prolonger l’espérance de vie de l’arbre. Artificiellement bridé, ce dernier préserverait davantage ses réserves vitales et dépenserait moins d’énergie. Aujourd’hui, le chêne pédonculé est en déclin, car il souffre de plus en plus de la sécheresse : petit à petit, il est remplacé par le chêne sessile.

A côté des émondes, d’autres arbres ont leur propre vocation et se voient également attribuer un entretien propre. Les hauts jets, destinés à la production de bois d’œuvre, sont repérés dès le plus jeune âge et seul leur fût est élagué jusqu’aux basses charpentières. Les « glanes », arbustes épineux, sont en général éliminées au moment de l’émonde.

Un bocage attaché à des savoir-faire et à des pratiques culturelles

La richesse du bocage à « ragosse » (ou « ragole », autres noms de l’émonde) tient autant au paysage qui en résulte qu’aux savoir-faire et pratiques attachés, inscrits dans la mémoire collective. Les interventions étaient l’occasion de chantiers familiaux et d’une solidarité entre paysans, qui voyaient les émondeurs se concurrencer pour le meilleur résultat. Un bon « fagotou » devait réaliser au moins cent fagots dans la journée. Si l’usage des fagoteuses est venu faciliter leur fabrication, la technique du lien à la « hare » (brindille), aujourd’hui apanage de quelques anciens, démontre l’habileté des paysans.

Outre le bois de chauffage, la haie est une source de matière première pour de nombreux usages du quotidien. Il s’agit d’observer et de repérer tel arbre à la configuration caractéristique, et parfois de le forcer à accentuer ce trait, pour imaginer un usage adapté et parvenir au résultat souhaité. Les manches de faux sont ainsi le résultat de la contorsion exagérée d’un bois de saule. Les piquets sont réalisés en châtaignier, doté de propriétés imputrescibles. Les manches d’outil font appel à des essences permettant d’amortir les chocs : frêne, bourdaine, châtaignier… Les ustensiles de cuisine sont fabriqués à partir d’arbres fruitiers ou de hêtre.

Un paysage à défendre

Le maintien de l’émonde dans les paysages est conditionné à la préservation du bocage d’une part, et à la persistance d’un entretien spécifique d’autre part. Or, depuis les années 1950, le démantèlement du bocage se double d’une perte des pratiques traditionnelles. La rupture intervient au moment où le bocage n’est plus perçu par la plupart des paysans comme un besoin, mais comme un frein à la mécanisation agricole. Le bocage est aujourd’hui sénescent, avec un manque préoccupant de régénération naturelle. Lorsqu’il est réalisé, l’entretien des jeunes arbres ne respecte généralement pas les règles de conduite de futures émondes.

Les énergies fossiles ont supplanté le bois de chauffage, dans les fermes mais aussi dans les villes, autrefois lieu de débouché du bois d’émonde. La fabrication de fagots ne trouve plus d’utilité, dès lors la durée de rotation augmente pour récupérer une plus grande proportion de « billette ». L’opération est du coup plus traumatisante pour l’arbre, et la part de mortalité augmente. Pour pallier à ce phénomène, le maintien d’un « tire-sève » (branche terminale) tend à se généraliser.

Les nouveaux habitants des campagnes ne sont en outre pas familiarisés à la pratique de l’émondage, et il n’est pas rare d’en trouver certains qui déplorent cette « torture » infligée à l’arbre. Cette mauvaise compréhension est une source supplémentaire de distanciation avec le monde paysan.

L’enjeu est aujourd’hui d’inventer, forts de la connaissance de l’héritage des émondes, un nouveau bocage compatible à la fois avec les besoins actuels et à venir, et avec la préservation d’une marque culturelle et paysagère. Heureusement, les bonnes pratiques renaissent. Ainsi, dans quelques communes, des chantiers de bénévoles réalisent par exemple des émondages en vue de préparer des fagots pour le feu de la Saint-Jean.

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