À propos
Quel titre donner à la Guyane…
France amazonienne ou Amazonie française ?
Écartelée entre les hommages qu'elle doit à ses deux souverains, le milieux naturel et la Métropole, la Guyane s'embrouille dans les préséances et ses problèmes de titre deviennent des problèmes d'étiquette.
Seul peut-être le nom de France équinoxiale, longtemps en faveur, semble pouvoir concilier l'inconciliable, associer le jour et la nuit. Équinoxiale, certes, cette forêt tropicale humide qui couvre les neuf dixièmes du territoire, ainsi que des populations qui l'occupent. Mais équinoxiale aussi la ligne verticale de la fusée Ariane dont les pieds touchent à peine le sol et le nez flaire déjà les étoiles. C'est qu'il y a en fait deux Guyanes ; l'une, franchement amazonienne est bien peu française, et l'autre, résolument française, tourne le dos à l'omniprésente forêt.
La région côtière est celle qui, de prime abord, s'impose le mieux.
Les cartes classiques du peuplement et des infrastructures suffisent à la circonscrire. Derrière elle, la bande dévouée à l'exploitation forestière et aurifère, ainsi qu'à la production d'eau et d'électricité représente moins une région autonome qu'une marge dépendante. Toute la région, c'est là son unité la plus profonde, se situe sur une même échelle verticale de l'arrachement au milieu et guigne la parité avec la métropole. Tous, ici, sont liés par ce fil d'Ariane, par cette logique du décollage, y compris les scientifiques guyanais, que leur sujet soit botanique ou satellitaire. Le premier d'entre eux à avoir décrit la Guyane n'indiquait-il pas par son nom même (Fusée-Aublet) l'incapacité du chercheur à pénétrer le milieu ambiant et son expulsion imminente et tonitruante, comme une bulle de gaz d'un marais ? Qui ne verrait dans Ariane la combustible statue de l'Arbre de Connaissance et dans son décollage l'éternelle fuite hors d'Eden ? Hélas, même réussi, cet envol est une chute. Et la fusée est peut-être la plus belle image du français en Guyane, voire de l'occidental sur la planète, elle qui ne peut décoller qu'en brûlant la terre qui la supporte.
Voilà la logique d'une bonne moitié de la Guyane, de Saint-Laurent à la Cayenne, avec un gradient de croissance qui atteint à Kourou la verticalité d'une rampe de lancement.
L'autre axe est celui du Maroni. Il représente la ligne des abscisses, en tous points perpendiculaire à la précédente. La logique n'est plus ici celle de l'extraction mais au contraire celle de l'immersion, toujours plus profonde dans le milieu, la forêt. C'est en remontant le fleuve que l'homme apprend à respecter celle dont il n'est encore que partiellement sorti et ses innombrables formes de vie. Jean Galmot, celui qui fut le "Papa Jean" de toute une génération de Guyanais décrivit en 1922, dans "Un mort vivait parmi nous", cette révélation à la Claudel. Les "vivants piliers" de la nature, après tout, valent bien ceux de Notre Dame. "Je me souviens du maître d'École qui disait "l'homme est le maître de la Nature". Et tu es plus petit que la fourmi rouge. La forêt te regarde avec pitié. Ton cœur bat. Il fait moins de bruit que celui d'un cèdre."
On l'a souvent dit, remonter le Maroni, ce fleuve aux frontières invisibles, c'est un peu remonter le temps. C'est un fleuve chargé de symboles trop nombreux et trop lourds pour autoriser une lecture rapide. Maroni qui change de nom au gré des confluences (il est successivement Maroni, Awa puis Itany), et perd sa source dans les Tumuc-Humac, une chaîne de montagnes qui n'existe dans son idéale rectitude que sur des cartes partiales, mais doit conduire à l'Eldorado et au lac Parimé. Maroni, carrefour des frontières, puisque ses berges sont le support des limites nationales, la frontière des maîtres alors que celles des esclaves, les limites éthiques entre les groupes "marrons" s'appuient sur les sauts, perpendiculaires aux premières. Et qui constitue pourtant le trait d'union le plus puissant entre tous les peuples qu'il baigne et qui répondent en créole au nom générique de "Moun Maroni". Maroni qui mène, presque directement, de la pointe de la tête d'ogive à celle de la hache de pierre. Car il existe peut-être, aux sources du fleuve, quand le chapelet des peuples s'égrène en l'Itany, des indiens sans outils, des "hommes feuilles" sans feu, sans hamac et sans nom, comme le fut la Guyane, lorsqu'elle s'appelait Guyane.
Guyane, "pays sans nom", ou "pays aux mille eaux", la Guyane est à coup sûr le pays aux mille questions, celles que pose l'insertion "en coin" d'un pays riche et tempéré dans un continent pauvre et tropical.
Emmanuel Lézy - 1995
Pour en savoir plus > Consulter notre dossier thématique : Guyane, un patrimoine à valoriser