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Le territoire Rance-Côte d’Emeraude, berceau de terre-neuvas

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Dès 1470, et alors que le nouveau Monde n’est pas encore officiellement découvert, des rumeurs laissent à penser à l’existence de miraculeuses zones de pêche de morues dans le secteur des eaux glaciales de l’Atlantique nord-ouest, avant même que Terre-Neuve ne soit décrite en 1497. Dès le début du XVIème siècle, des équipages basques et bretons, notamment au départ de Saint-Malo, s’y rendent discrètement avant que le secret ne s’ébruite et conduise à l’effervescence de cette « ruée vers la morue ». Puis, pendant 500 ans, du XVIème au XXème siècle, des terre-neuvas, français, basques espagnols, portugais, anglais, vont parcourir les grands bancs de Terre-Neuve au large du Canada : c’est la « Grande Pêche ». Au début du XIXème siècle, on compte près de 10 000 pêcheurs français partant sur les bancs de Terre-Neuve chaque année. Dans les années 70, une énorme flotte russe vient elle aussi pécher sur les bancs de Terre-Neuve, incitant le Canada puis les autres états à créer une zone économique de 200 milles à partir de leurs côtes. Mais les morues si intensément pêchées se font logiquement rares et les campagnes moins rentables. En même temps que les navires se modernisent et grossissent, la pêche à Terre-Neuve disparait peu à peu et cesse définitivement au début des années 1990 avec un moratoire prononcé par le Canada.

 

La pêche à Terre-neuve : un départ pour six à neuf mois de campagnes périlleuses

On distinguait deux types de pêche à la morue Terre-Neuve. La pêche à la morue verte, dite aussi pêche errante, se pratiquait au large sur les bancs. Les navires partaient pour une saison de pêche de six à sept mois avec des équipages de vingt à trente hommes. La technique de pêche errante a évolué au fil du temps. Au début, les pêcheurs tiraient des lignes le long du pont du navire, puis au début du XVIIIème siècle, ils tendirent des lignes à partir de chaloupes, remplacées vers 1873 par des doris, bateaux à fond plat plus manœuvrables et plus facilement empilables sur le pont. Une fois le bateau arrivé sur les bancs, les doris étaient mis à la mer avec deux hommes d'équipage. Les lignes étaient tendues le soir et remontées le matin.   Une fois le produit de la pêche remonté à bord du terre-neuvier, le traitement de la morue était organisé et rapide, chaque tâche étant répartie : les « piqueurs » vidaient, « les décolleurs » coupaient la tête et les « trancheurs » fendaient la morue en deux et lui enlevaient l'arête dorsale. Les mousses lavaient et nettoyaient la morue qui était ensuite jeté en cale où les saleurs la salaient et l'empilaient. Le métier de terre-neuva était un métier très éprouvant pour les hommes, travaillant à découvert sur le pont dans des conditions météo très difficiles, dans le froid et l'humidité, jusqu'à dix-huit heures par jour et même plus si le poisson donnait bien. Le rythme était intense, et pour cause : le salaire perçu par un terre-neuva était directement lié au résultat de sa pêche, et l’équipage qui rentrait en fin de campagne avec la plus mauvaise pêche ne repartait pas en mer l’année suivante. De fait, les hommes qui ralentissaient la cadence étaient vite traités de fainéants. « Pêche ou crève » était la seule règle à bord. La mortalité et les pertes de navires étaient importantes en raison d'accidents à bord, de tempêtes, de rencontres avec des icebergs ou des pertes de doris dans la brume... Progressivement, la pêche évolua vers la pêche au chalut avec le remplacement des voiliers par des chalutiers à vapeur, puis à moteur. Le dernier voilier terre-neuvier, le René Guillon, s'arrêta en 1951. Avec l’arrivée des chalutiers, les conditions de travail ont évoluées : moins de risques pour l’équipage, mais plus de travail car le navire pêche en permanence. Le début des années 1960 vit l'arrivée des bateaux-usines avec une mécanisation de la préparation du poisson en cale et la surgelation.

La pêche à la morue sèche, quant à elle, se pratiquait le long des côtes de Terre-Neuve à l'abri des vents et des courants. Les navires partaient d'Europe avec une centaine d'hommes, et mouillaient dans un havre de la côte de Terre-Neuve. Les marins construisaient à terre des installations sommaires appelées « échafaud » pour stocker et préparer le poisson mais également y vivre. Ils partaient ensuite à la pêche en chaloupe et au filet. Le poisson, ramené à terre chaque soir, était préparé, salé et laissé sécher à l'air sur les grèves. Séché ainsi, le poisson pouvait se conserver beaucoup plus longtemps et donc une fois de retour en France, être exporté, principalement vers le bassin méditerranéen. Cette pêche était également moins éprouvante pour les hommes qui vivaient à terre entre les journées de pêche.  Avec le Traité d’Utrecht en 1713, la France perdit le Québec et Terre-Neuve mais conserva un droit de pêche sur les cotes de Terre-Neuve : « le french Shore ». Ce droit, sans cesse contesté, s’est amenuisé peu à peu pour disparaitre en 1904.

Chaque année, environ 10% des marins embarqués ne rentraient pas au pays, laissant derrière-eux une famille endeuillée et vouée à la misère.

 

La Rance-Côte d’Emeraude, berceau de terre-neuvas

Pendant plusieurs siècles, la Rance fut la zone d’embarquement de centaines d’hommes et de navires. Chaque année, les armateurs, installés dans la cité corsaire de Saint-Malo et à Cancale, recrutaient leurs capitaines qui, à leur tour, formaient leurs équipages dans les villages des bords de Rance, et la campagne autour de Dinard, mais aussi dans tout l’arrière-pays, sur Matignon, Plancoët ou encore Dinan par exemple.Des écrits relatent qu’au début du XXème siècle, une foire aux marins se déroule chaque premier lundi de décembre dans le village du Vieux-Bourg dans l’arrière-pays de Saint-Malo. Dans ce marché d’hommes, au milieu des manèges et des monstres de foire, les capitaines viennent compléter leur équipage en embauchant des matelots, des novices et des mousses.La plupart des terre-neuvas étaient des marins-paysans, qui laissaient à leurs femmes le soin d’assumer le travail de la terre pendant leur absence.

 

La place prépondérante de la pêche à la morue dans l’économie locale

A l’apogée de la pêche à Terre-Neuve, Saint-Malo armait près de 300 goélettes, une flotte imposante qui non seulement donnait du travail aux « gens de mer », mais nécessitait également l’existence de nombreuses activités commerciales, artisanales et industrielles directement liées à la préparation des navires et des marins, et à la vente de la « morue verte » et de la « morue sèche ». Ainsi, pendant plusieurs siècles, la pêche à la morue a tenu une place prépondérante dans l’économie locale. Sont sortis de terre des chantiers de construction navale, dont le chantier Dubois à Pleurtuit, et le chantier Lemarchand au Minihic-sur-Rance. On a moulu sur le territoire blé et sarrasin, afin de confectionner les biscuits que les marins emporteraient, tissé chanvre et lin, pour les voiles des bateaux, brasser de la bière…

 

La tradition de la protection divine des pêcheurs

La vie religieuse était également impactée par la Grande Pêche. Ainsi, avant leur départ, les marins venaient prier et implorer la protection de la Vierge avant d’embarquer pour Terre-Neuve. Certains embarquaient une petite statuette de la vierge qu’ils plaçaient dans leur « cabane » (couchette close) A leur retour, ils revenaient exprimer leur reconnaissance. A titre d’exemple, au nord du port de Saint-Suliac, dominant la Rance, se situe l’oratoire de Grainfollet. Cette vierge qui bénissait les départs des terre-neuvas fut érigée en 1894 par des pêcheurs eux-mêmes revenus tous sains et saufs des grands bancs et ayant fait la promesse de rendre hommage à la vierge protectrice. D’autres vierges ont existé ou existent encore sur les bords de Rance, parfois plus discrètes comme Notre-Dame de la Miette, sur la grève du Minihic-sur-Rance, ou la vierge du Châtelet à Langrolay-sur-Rance. La tradition des pardons de la mer se perpétue aujourd’hui encore, à Cancale notamment. Enfin, dans beaucoup d’églises et de chapelles des bords de Rance, des ex-voto continuent à orner les murs et les plafonds pour bénir les vraies embarcations.  

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